Mar. 13 Mars 2007, 08:28
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Citation :Au Yucatan, la plus longue rivière souterraine du monde
EXPLORATION. Deux spéléo-plongeurs ont établi l'existence d'une grotte inondée de 153km, la plus longue recensée à ce jour. Au terme de quatre années d'efforts, totalisant quelque 500 plongées de trois à cinq heures, raconte l'un d'eux, le Britannique Steve Bogaerts.
Etienne Dubuis
Mardi 13 mars 2007
Trois heures de progression solitaire au fond de grottes inondées, royaume du froid et de la nuit, jusqu'à des boyaux minuscules o๠aucun homme ne s'est jamais aventuré, o๠aucun rai de lumière n'a jamais pénétré. Des boyaux parfois si étroits que le plongeur doit se défaire de ses bouteilles pour les passer. Des boyaux si tortueux qu'il risque à chaque instant de se perdre. Et puis soudain, au cÅur de ce labyrinthe, le faisceau tremblant d'une torche: la silhouette fantomatique d'un plongeur attendue depuis des années.
De ce moment de grâce, le plongeur britannique Steve Bogaerts et son collègue allemand Robbie Schmittner se souviendront encore longtemps. En se retrouvant à une vingtaine de mètres sous terre près du lieu-dit Cenote Por One, dans la péninsule du Yucatan, au Mexique, les deux hommes ont réalisé le 23 janvier dernier un exploit majeur en matière d'exploration. Ils sont parvenus à prouver que les deuxième et troisième plus longues rivières souterraines du monde - Sac Actun («La Cave blanche» en maya), d'o๠venait l'un, et Nohoch Nah Chich («Le Nid de l'oiseau géant»), d'o๠arrivait l'autre - n'en formaient en réalité qu'une et une seule. Ce qui en fait, avec ses 153kilomètres, la plus étendue répertoriée à ce jour. Devant l'ancien tenant du record, le labyrinthe voisin d'Ox Bel Ha («Les Trois Voies d'eau»), 143 kilomètres.
Jusqu'au début du XXe siècle, les grandes découvertes géographiques ont eu lieu sur la terre ferme. Mais aujourd'hui, mis à part quelques petites régions très reculées - comme cette haute vallée des monts Foja, en Nouvelle-Guinée, foulée pour la première fois en décembre 2005 (lire Le Temps du 13 février 2006) -, il n'existe plus de territoire vierge sur quelque continent que ce soit. En surface, en tous les cas. Car en dessous, dans les profondeurs du sol, le champ de l'exploration demeure immense.
De beaux exploits ont d'ores et déjà été réalisés dans ce domaine. Comme la reconnaissance des 590kilomètres de boyaux de la Mammoth cave dans le Kentucky, aux Etats-Unis, considérée comme la plus grande grotte du monde. Ou, plus récemment, en octobre 2004, la descente record de 2170 mètres réalisée dans le gouffre de Krubera-Voronja, en Abkhazie (Géorgie). Mais tout cela n'est encore qu'un début. D'immenses zones karstiques, et donc forcément trouées de cavernes, ont été repérées à travers le monde, en Chine notamment, mais jamais fouillées. Et même là o๠les spéléologues sont à l'Åuvre depuis longtemps, comme en Suisse, l'essentiel reste à découvrir. «Nous explorons depuis quarante ans le massif de la Schrattenfluh, dans les Préalpes lucernoises, remarque le Broyard Roman Hapka, secrétaire adjoint de l'Union internationale de spéléologie. Or, cela ne nous a permis que de visiter 300 grottes... sur plus de 2000.»
Le domaine de la spéléo-plongée est une spécialité particulièrement exigeante. Contrairement à la plongée classique qui consiste à descendre et à remonter sur d'assez courtes distances, elle revient à réaliser des trajets de plusieurs kilomètres à l'horizontale et à rester sous l'eau des heures durant, sans possibilité de remontée rapide. Inquiets s'abstenir! Et contrairement à la spéléologie traditionnelle, elle suppose la maîtrise d'un matériel sophistiqué, à commencer par celle d'engins de traction à hélice. «Heureusement, commente Roman Hapka, des progrès techniques importants ont été récemment réalisés dans certains domaines cruciaux. Telle l'étanchéité, donc la préservation de la chaleur du corps, vitale pour des nageurs condamnés à passer de très longues périodes sous l'eau. Et tel le recyclage de l'air, essentiel aussi puisque les bulles, dans une caverne, propagent les particules boueuses et rendent l'eau dangereusement opaque.»
La péninsule du Yucatan est la Mecque de la plongée souterraine. Gigantesque plateau calcaire, dont l'épaisseur atteint par endroits des centaines de mètres, elle se laisse facilement pénétrer par l'eau de pluie qui y creuse d'interminables galeries et s'y superpose à l'eau de mer. Elle est aussi sujette aux effondrements de terrain qui trouent son sol de puits ronds, baptisés «cénotes». Considérés autrefois par les Mayas comme des bouches divines, ils donnent aux spéléologues d'aujourd'hui une multitude d'accès au monde souterrain.
L'exploration des rivières inondées du Yucatan a commencé à la fin des années 70 avec le légendaire Sheck Exley, considéré comme le père de la plongée souterraine. Elle s'est poursuivie depuis sans interruption, avec une première reconnaissance de Sac Actun en 1987.
L'exploit de Steve Bogaerts et Robbie Schmittner couronne quatre années d'efforts totalisant quelque 500 plongées de trois à cinq heures. «Les deux réseaux étaient si proches que nous étions certains qu'il existait entre eux au moins un passage, raconte le Britannique. Mais nous avons essuyé de nombreuses déconvenues. Comme en décembre 2004, quand nous avons cru une première fois pouvoir établir la jonction. Depuis lors, nous avons été de tâtonnements en tâtonnements, de déceptions en demi-succès. Jusqu'en janvier dernier o๠nous avons enfin trouvé l'ouverture.»
Un exploit utile? «Notre découverte a un intérêt cartographique mais pas seulement, assure Steve Bogaerts. En établissant que la Sac Actun et la Nohoch Nah Chich ne font qu'une, elle démontre combien il est important de préserver ces grottes de toute pollution à un moment o๠l'industrie touristique se développe. Un point d'eau souillé et c'est un vaste complexe hydrologique, o๠l'homme puise son eau potable depuis la nuit des temps, qui serait dégradé.»
© Le Temps, 2007 .
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